nouvo09 wrote:Sans entrer dans le fond du problème, je ne suis pas fondamentalement opposé à l'instauration d'une autorité administrative indépendante spécialisée dans la régulation de l'internet. A condition toutefois qu'elle soit créée par la loi, que ses prérogatives soient très précisément définies et encadrées ainsi que son mode de fonctionnement, et aussi que des recours soient ouverts dans des conditions conformes notamment aux dispositions de l'art 6 de la convention européenne. Rappelons nous que L'ARCEP (anciennement ART) et le Conseil de la concurrence, entre autres, sont de telles autorités, qui ont fait leurs preuves, et que le contrôle de leurs décisions relèvent de la Cour d'appel et de la Cour de cassation. (Je ne parle pas exprès du Conseil de l'audiovisuel dont certaines décisions sont plus que critiquables.)
Bonjour nouvo09,
Deux points rapides en réponse à ton post:
i- sur le sens des autorités administratives;
ii- sur le fond de la question soulevée (qui n'est certes pas l'objet de ton post mais s'y avère toutefois liée).
i- les autorités administratives:
On assiste depuis quelques années à la démultiplication d'instances administratives indépendantes, de configurations très variées et dont les domaines peuvent se chevaucher. Le contexte créé un entrelac compliqué de prérogatives, au regard du droit français (qui souffre souvent d'un manque de cohérence; en prenant le seul cas des télécommunications, on constate un chevauchement complexe d'un droit de puissance public, du droit commercial, du droit attaché aux libertés individuelles, du droit de la communication, etc ...) et du droit européen. Un véritable maquis prend corps et la démultiplication des instances vient largement contribuer à la confusion. On pourrait volontiers paraphraser le sénateur QUEUILLE en cette affaire ...
Mais dans un tel maquis, c'est l'autorité politique qui s'impose et impose des choix de facto; les contre pouvoirs s'avèrent bien illusoires quand ils ne sont pas en propre des relais plus ou moins actifs. C'est une logique très anglo saxonne qui s'affirme, appuyée sur une volonté parfois dogmatique de dérégulation, une croyance dans les vertus du marché, dans la détermination individuelle. Certes, le monde anglo saxon découvre depuis quelques semaines la socialisation des pertes (en préservant quand même l'individualisation des profits et de certains avantages ...), l'intervention de l'Etat, la nationalisation du crédit...
On peut donc être attaché à des formes de régulation appuyées sur des instances indépendantes (et je le suis aussi) mais un certain réalisme conduit à constater que dans le contexte présent, les conditions ne sont pas réellement réunies pour y parvenir. Il manque un pouvoir parlementaire conséquent, qui prépare effectivement les lois -et ne se borne pas à enregistrer les desiderata du pouvoir- et en contrôle l'exécution, au niveau français comme européen, un cadre juridique épuré et harmonisé notamment vis à vis du cadre européen, des instances sociales responsables -syndicats, associations, fondations ...- qui puissent être entendues et participent aux débats nécessaires ...
Alors permets-moi le doute sur ce que serait cette instance administrative, dans le bouillonnement d'Internet et sous la forte impulsion des lobbies ... Permets-moi aussi d'être réservé quant à l'indépendance dont elle pourrait jouir dans le contexte d'un gouvernement , pardon, d'un Président, qui agit de façon souveraine et ... impulsive?
Je note en aparté que le débat sur l'économie numérique a été focalisé sur les questions de droit commercial et ne s'est pas intéressé au fond: ce sont de nouvelles formes de socialité qui prennent corps avec les réseaux (My Face, le chat, ...) et non pas seulement de nouvelles technologies. On ne peut maintenant plus comprendre les faits sociaux sans prendre en compte la densité des relations tissées sur le Web, l'identité que beaucoup s'y forge, l'importance des réseaux dans les échanges sociaux et économiques. Réduire le débat à la question du pillage -condamnable bien sûr- des catalogues de production artistique...
ii- sur le fond:
Le fond tient à l'inclusion dans le projet Paquet Télécom de dispositions qui appuient et permettent la conduite de la fameuse riposte graduée.
En quoi cela consiste-t-il? Schématiquement, à mettre en place un mécanisme qui autorise des sociétés privées de collecter des adresses IP , par une écoute des réseaux publiques, dès lors qu'elles sont supposées avoir été utilisées pour des actes appréciés comme 'délictueux' par ces mêmes sociétés. Les sociétés privés (par exemple: sociétés d'édition de musique) iraient alors quérir une autorité administrative qui pourrait saisir les fournisseurs d'accès Internet afin qu'ils engagent des actions vis à vis des utilisateurs de ces adresses. De tels dispositifs existent aux USA mais conduisent à la recherche de transactions entre ces sociétés privées et les internautes.
Le projet réaffirme la protection des usages privés mais laisse en l'état la possibilité de cette écoute générale.
Une analyse des impacts a été proposée par
laquadrature.net; c'est une analyse parmi d'autres mais elle a le mérite de souligner la nouveauté qui serait introduite:
* l'autorité aurait un pouvoir de sanction des individus hors de l'autorité judiciaire et particulièrement du juge de premier instance statuant sur requête;
* la capture massive d'adresses IP par écoute de réseaux publics serait de facto possible, par des sociétés privées;
* dans un contexte où la connexion Internet devrait être reconnue comme un élément de nécessité (comme l'eau ou le gaz), sa coupure serait possible mais avec des exceptions (rupture du principe d'égalité?).
Il ne faut pas ignorer le problème que constitue la rétribution légitime des auteurs pour leurs oeuvres. Mais pour autant, le dispositif qui s'annonce ne ne s'accompagnerait-il pas de conséquences lourdes, structurantes, sans rapport à l'enjeu? Le dispositif n'est-il pas illusoire, d'ailleurs, sur le fond, eu égard aux technologies qui permettent d'ores et déjà de surfer sous des adresses IP forgées, usurpées?
Alors oui, il faut éviter la précipitation et poursuivre encore la discussion. La directive peut fort bien sortie sans impliquer les parties litigieuses...